Il y a toute une stratégie à mettre en place, beaucoup de travail en perspective, une concurrence féroce, des années de labeur avant d’émerger et une lutte de chaque instant pour rester sur le devant de la scène. Mais le jeu en vaut la chandelle, en témoignent des marques qui sont apparues en quelques années, comme Le Slip Français, Archiduchesse, ou Le Chocolat des Français.
Créer une marque aujourd'hui fait rêver en France, pourquoi selon vous ? Qu'est ce qui attire les entrepreneurs ?
J’ai le sentiment que dans l’inconscient collectif, une marque est avant tout associée à la notoriété, la durabilité, la reconnaissance et la réussite. Qu’elle soit du luxe, du sport ou de l’alimentaire, nous sommes marqués par les success-stories de grandes marques qui ont traversé les années (Chanel, Louis Vuitton, Coca, Nestlé, H&M…). Nous le sommes aussi par celles des plus jeunes qui dynamisent le marché et nous donnent l’espoir de pouvoir percer à notre tour.
Créer une marque, c’est aspirer à mettre une part de soi chez les autres, ce qui est souvent l’envie commune à tout créateur d’entreprise. Bien entendu, l’origine de cette envie est propre à chaque entrepreneur. Pour certain elle est le souhait d’affirmer une identité créative, pour d’autres de répondre à une utilité, rendre service, donner du sens... Mais indépendamment de l’origine ou de l’ambition que l’on donne à sa marque, l’imaginer aux côtés de marques renommées dans une enseigne, un magazine ou bien simplement dans le quotidien de consommateurs, symbolise que l’on a prouvé sa valeur, que l’on est reconnu pour l’avoir fait et qu’on a trouvé sa place sur un marché. Quoi de plus inspirant pour un entrepreneur !
Est-ce plus facile aujourd'hui de créer sa propre marque qu'avant ?
C’est indéniable. Internet a ouvert le champ des possibles à ceux qui étaient dépendants des contraintes géographiques ou familiales. Les femmes sont plus nombreuses à entreprendre grâce au numérique. C’est ainsi qu’on a vu apparaitre de nombreuses « Entrepreneuses créatives » dans le textile ou la décoration. Elles ont pu créer leur marque en combinant leurs talents de couturières à la vente en ligne. Les néophytes non couturières ont pu, elles aussi, créer en s’informant sur ce marché, chose inenvisageable auparavant.
Aujourd’hui on peut presque tout faire à distance : trouver des fournisseurs, des partenaires, des clients et même des associés et ce jusqu’à l’autre bout du globe. On peut aussi promouvoir et vendre à moindres coûts ses produits ou services via des marketplaces comme Amazon ou encore Etsy, passer par des e-boutiques clés en mains et les réseaux sociaux. On a une multitude de choix. Maintenant, ces derniers sont plus nombreux, ce qui implique plus de décisions à prendre. C’est là que cela peut se compliquer lorsque l’on est seul ou pas du milieu dans lequel on se lance car tous ces choix sont finalement stratégiques et conditionnent l’avenir de la marque. Il est important de se faire accompagner sur les axes que l’on ne maîtrise pas.
Quel est le premier frein à la création et au développement d'une marque ? Peut on vraiment créer une marque made in France aujourd’hui ?
Dans le textile et la Mode, la capacité à (auto)financer au minimum les 2 voire 3 premières collections.
La Mode a ses spécificités. Elle fonctionne en saisonnalité, les cycles de production et de vente sont donc très courts (6 mois maximum). Comme en design de produit plus technique, il y a une partie R&D, c’est la phase de création, celle où on imagine le produit, la collection et où l’on prototype, puis vient ensuite la fabrication. Dès la première collection lancée en fabrication, vous en êtes à imaginer la 2ème et ainsi de suite. Contrairement à d’autres secteurs, cette partie n’est que très rarement financée, (à moins que vous ne soyez sur un produit ou textile technique ou une innovation). Il convient donc aux entreprises de trouver les fonds propres pour le faire soit par le love money, le crowdfunding ou bien la demande de prêt à la création ou développement traditionnel (non innovant) quand le timing s’y prête.
Pour ce qui est de faire du 100% Made in France la réponse est hélas non. Certains savoir-faire ont disparu de la filière Textile, une partie minimum des approvisionnements comme le coton par exemple se fait donc en dehors du territoire. Les marques comme 1083 ou Juste, La Révolution Textile qui misent sur la transparence et la réintégration de ces savoirs, ont souvent expliqué ce frein.
Comment sont accueillis les nouveaux créateurs quand ils démarchent les fabricants ? N'en n’ont-ils pas assez de voir arriver autant de rêveurs ?
Là aussi, tout dépend des fabricants. N’oublions pas qu’ils sont comme les créateurs de marque des entrepreneurs qui a ont cœur de garder leurs entreprises et les voir se développer. Ils maintiennent donc leur activité avec les marques industrielles qui produisent/confectionnent encore en France mais certains misent sur les jeunes marques pour expérimenter de nouvelles approches.
Je pense que comme dans tout business c’est une question de rencontres, de discours, de valeurs partagées et de timing. On peut être un rêveur lucide, à l’écoute des autres et de leurs contraintes. Ça donne plus de chance d’être entendu et de partager son rêve.
Faut-il mieux commencer par fabriquer soi-même ses produits ou directement investir dans une grosse production ? Notamment dans la mode, la déco, dans ce qui peut être fait soi-même.
Chaque choix a ses avantages et ses inconvénients. On prendra l’un ou l’autre en fonction du type de produit commercialisé, d’un savoir-faire existant en interne et de la capacité de financement des premières collections. Un produit technique par exemple pourra être difficile à prototyper ou réaliser soi-même, soit en raison de sa composition ou des machines nécessaires à sa confection.
La fabrication interne vous permet de produire en petite série, de constituer des stocks minimums moins importants et donc de minimiser l’investissement de départ. Par contre, vous gérez tout de A à Z, de la création à la vente, et ce parfois sur 2 collections ce qui demande une bonne gestion du temps ou bien d’avoir anticiper un budget pour déléguer le reste. L’autre inconvénient à prendre en compte : le choix des tissus. Produire en petite série ne permet pas de faire fabriquer des tissus personnalisés à un coût intéressant tout simplement car vous n’atteignez pas les minimas requis. Vous êtes donc souvent contraint de vous approvisionner chez les grossistes et d’acheter des tissus que d’autres marques auront aussi achetés. Vous perdez en originalité produit.
A l’inverse, déléguer la création d’une collection (création + fabrication) imposera des minimas de commandes plus conséquents, des stocks plus importants à écouler donc un investissement de départ plus élevé. Vous aurez en revanche plus d’interaction avec les acteurs de la filière, ce qui enrichit la phase de création. Vous aurez également plus de temps à consacrer à la promotion, à la vente et au service client. C’est donc un ratio temps/argent/contraintes qu’il faut prendre en compte pour décider.
Selon vous, combien de temps faut-il compter entre le concept, la commercialisation et commencer à se faire connaitre ?
Il faut compter en moyenne 3/6 mois pour préparer une collection et 3 saisons à partir de la commercialisation pour que la marque se fasse connaitre. On pourrait assimiler ces saisons à une période de test pendant laquelle le consommateur juge si vous êtes au rendez-vous, si vous vous renouvelé, si vous vous inscrivez dans la durée. Disons qu’au-delà, vous faites « officiellement » parti du paysage de marque reconnue dans votre domaine.
Donc tout dépend du moment où vous vous lancez dans le projet et du calendrier de la saison à venir. 1 an pour réfléchir à l’ensemble me semble quand même un minimum car la phase création n’est qu’une partie du projet. Il faut avoir réfléchi en amont à l’ensemble : du concept à la création, en passant par la stratégie de communication et de distribution, tout en restant concentré sur l’identité de marque que l’on souhaite créer.
Qu'est ce qui fait que de nombreuses marques échouent ?
Plusieurs facteurs entrent en jeu. Parfois c’est une trésorerie mal anticipée en phase de lancement ou développement. Une gamme de produit trop vaste pour un lancement, des coûts de production mal estimés… Cela peut être aussi une marque qui n’a pas une identité propre en termes de ligne de produit. Elle ne comporte pas de différence significative avec une autre, voire pire elle se confond avec d’autres. C’est une des conséquences observées chez les entrepreneuses créatives que je citais précédemment mais c’est aussi le cas des marques industrielles grands publics. Chaque saison étant marquée par une tendance, et bien on retrouve les mêmes couleurs, les mêmes styles d’imprimés ou de matières. En tant que consommateur, à critères similaires, on se rabat sur le prix en allant au moins cher. Et dans la « guerre du plus petit prix » une jeune marque est toujours perdante car ses coûts de production sont plus élevés. Aujourd’hui on peut difficilement se contenter de créer juste un produit à moins qu’il n’ait une caractéristique particulière propre à la marque. Pour sortir son épingle du jeu, il faut imaginer un concept qui réponde à un besoin clients autour de ce produit. C’est ainsi que des marques comme Bonne Gueule ont vu le jour.
Qu'est ce qui est le plus difficile dans le lancement d'une marque ? Comment se faire connaitre et devenir une marque qui compte sur son marché ?
Aussi étrange que ça puisse paraître je dirai de trouver le nom de la marque. On a tendance à l’oublier mais c’est un vrai casse-tête. Le nom qui nous inspire peut être facile à trouver. Il est cependant soumis au droit des marques. Vous devrez ainsi vérifier s’il n’est pas enregistré par quelqu’un d’autre dans votre domaine et veillerez à remplir les conditions qui la protégeront pour l’avenir. Imaginez le désastre si le succès est au rendez-vous pour votre marque et qu’une marque s’oppose à la vôtre en demandant le retrait. C’est un coup dur assuré ! Il faut s’en prémunir.
Ensuite, il faut bien entendu anticiper son lancement ce qui implique d’avoir soigné sa stratégie de communication et ses supports, en particulier les photos. Les consommateurs sont très attachés à l’esthétique et c’est encore plus vrai dans la Mode et le Luxe. Il est important de donner une image professionnelle, que notre structure soit artisanale ou non.
Les réseaux sont-ils importants ? Quelle place leur accorder ?
Je dirai oui dans la majorité des cas, car aujourd’hui on ne saurait parler de marque sans communauté. L’utilisation des réseaux permet de créer un lien privilégié avec ses futurs clients. On y partage l’histoire de la marque, les coulisses, on échange sur des pratiques ou des tendances. On y questionne sa communauté, on recueille ses remarques, puis on les intègre. C’est un lieu d’expression très utile pour les marques et ce dès la post création car cette communauté créée en amont, ouvre souvent la voie des premières ventes ou des premiers financements. Toutefois, il convient de bien sélectionner ses réseaux en fonction de son produit, le mode de distribution retenu mais aussi de le faire en fonction du temps que l’on peut y consacrer.
Quelle stratégie de commercialisation faut-il obligatoirement mettre en place rapidement ? Quels sont les secteurs où il y a encore des places à prendre ?
La stratégie de distribution/commercialisation dépend là aussi du concept et de la typologie de clients visée. Les jeunes marques ont dans les faits plusieurs options:
- vendre en ligne directement auprès des consommateurs
- ouvrir un point de vente en propre (éphémère ou non)
- démarcher des boutiques indépendantes ou des pures players
- faire des salons
- développer un réseau de vente à domicile
Dans la réalité, on constate que la vente directe auprès des consommateurs est presque un passage obligé avant d’espérer pouvoir être référencé chez les revendeurs ou bien être représenté par un agent commercial. La marque doit avoir fait ses preuves, c’est ainsi.
Je demande un joker pour les autres secteurs ! Pour le textile, il y a encore des choses à faire, c’est évident. Le marché est en mutation. On parle de recyclage, de matières soucieuses de l’environnement, d’eco-conception mais aussi de « Fashion Tech ». Il faut prendre le train en marche, et être à l’écoute des besoins des consommateurs. Le reste fera son chemin.
Un conseil pour un futur créateur de marque ?
Ecouter le marché, ses futurs clients et partenaires. S’entourer, se faire accompagner, surtout quand on se lance seul. Commencer par une petite collection pour tester son concept, puis l’étoffer. Et un petit clin d’œil spécial pour les créateurs stylistes/modélistes : Une marque ne saurait exister sans clients. Vos produits, vous les créez pour eux et non pour vous, ne l’oubliez jamais !